Dépouillée de ses clichés balnéaires, la Guadeloupe se révèle terre de singularité artistique. Ce premier article vous invite à explorer le travail de Jean‑Marc Hunt, où se rejoignent quête du vrai, raffinement contemporain et ambition de faire rayonner l’île au‑delà de ses frontières.
Il est de ceux dont le regard capte l’essence du monde, la filtre à travers une sensibilité aiguisée, puis la restitue dans une effervescence chromatique maîtrisée. Jean-Marc Hunt, enfant de Strasbourg, natif d’une double insularité - guadeloupéenne et réunionnaise - a fait de la Caraïbe son terrain d’expression. Un espace où la création surgit en écho aux tumultes de l’histoire.
Adolescent sans le sou, il débute comme "toyer", s'appropriant et modifiant les œuvres de ses pairs. Cette expérience de transgression forge son langage artistique. Ses premiers tableaux sont vendus à la sauvette, dans la rue. Peu à peu, l’empreinte Hunt s’affirme : une peinture d’impact, nerveuse, où la matière explose, où le geste dépasse la toile.
En 2003, il revient en Guadeloupe, sa terre paternelle. L’art y est un acte d’enracinement autant qu’un cri. Hunt s’approprie les matières locales - gaulettes de bois flotté, pigments vifs - et s’attaque aux stéréotypes avec une acuité jubilatoire. Son œuvre "Banane de luxe" fait de ce fruit, trop souvent perverti par des relents racistes, un emblème de noblesse et de réappropriation.
Son ascension passe par des expositions fondatrices, comme celle du Centre des Arts de Pointe-à-Pitre en 2005. Mais c’est en 2019 qu’un jalon historique est posé : pour la première fois, la Guadeloupe a son pavillon à la Biennale de Venise, et Jean-Marc Hunt en est l’un des visages.
Cette présence consacre une trajectoire, mais aussi un manifeste : l’art caribéen n’est plus une école marginale, il revendique sa place sur la scène mondiale. Une manière de déplacer le centre de gravité des regards. Hunt est alors représenté par 193 Gallery en Europe et Hunter Gallery à l’international, preuve que son langage pictural trouve résonance bien au-delà des rivages guadeloupéens.
Loin d’un art enfermé dans les sanctuaires institutionnels, Hunt veut ramener la création au plus près des gens. Il fonde Creolitan, un espace d’exposition ancré dans une case traditionnell. Ce lieu hybride co-créé avec Vanessa Hunt conjugue patrimoine et modernité, offrant une vitrine à l’effervescence artistique caribéenne.
En une petite décennie, la valeur de ses œuvres a été multipliée par cent. Non pas en cédant aux modes, mais en restant fidèle à une voix qui lui est propre. C’est là une leçon, un art aussi essentiel que celui du geste pictural : savoir dire qui l’on est, sans jamais dévier. Et ce regard assumé, si puissamment ancré dans son territoire, attire, intrigue, donne envie de voir de plus près. La Guadeloupe, au fil des expositions et des rencontres, s’impose comme un carrefour de création, une escale désormais incontournable pour ceux qui savent que l’art est aussi une invitation au voyage.
La trajectoire de Hunt ne s’arrête pas aux rivages caribéens. En mai 2025, il prendra part à la Biennale de Guinée-Bissau. Un retour vers l’Afrique, une autre boucle qui se ferme, dans un dialogue constant entre les héritages et les possibles. Jean-Marc Hunt est plus qu’un artiste, il est un passeur. Il bouscule, il interpelle, et surtout, il fait rayonner la Guadeloupe, affirmant à travers son art que la Caraïbe n’est ni à la marge, ni un simple exotisme de passage, mais bien un foyer créatif à part entière, dont la voix résonne désormais au cœur des grandes institutions artistiques.